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dimanche 2 juillet 2017

J'ai le mal du travail





C’est l’histoire d’un mec ordinaire, dans une entreprise ordinaire…


Je l’ai vu travailler toute sa vie, sans interruption. Même ses « vacances » ressemblaient à du travail déguisé. Les week-ends, quant à eux, avaient plutôt l’air d’être des soupapes de décompression. Je caricature à peine. Aucun arrêt maladie à déclarer. Même pour une grippe bien accrochée, il affichait présent, au travail ou en déplacements. Bien sûr il n’était pas le seul au monde à faire 7h30-19h tous les jours de la semaine. Il n’était pas non plus des plus à plaindre. Il était juste très (trop) investi.

Une conscience professionnelle à toute épreuve. Un corps et un esprit jamais défaillants. Aucune plainte, seulement des silences qui, avec du recul, pouvaient en dire long. Aujourd’hui il avoue ne rien regretter. Il se battait pour des valeurs, un objectif économique, des «gens biens» comme il disait. Je pense aussi qu’il agissait comme il aurait voulu que les autres agissent avec lui : avec respect et bienveillance. C’est comme ça qu’il a agi avec ses collaborateurs. Jamais un mot plus haut que l’autre, un self-control impressionnant. Il dit encore maintenant qu’un métier devient ce que l’on en fait. Chacun a selon lui, les cartes en main pour donner de l’intérêt à son travail. Je pense qu’il s’est toujours comporté ainsi, sans compter ni ses heures, ni ses efforts, ni même sa fatigue pour trouver un sens à tout ce qu’il faisait mais aussi, pour appliquer, au travers des années, une politique qui semblait bel et bien lui échapper. Ça s’appelle la loyauté. On s’investit pour avoir en retour de la reconnaissance, de l’argent (bien sûr), de la fierté à contribuer à quelque chose de plus grand que soi. Mais ce que l’on donne aussi c’est de l’énergie, et cette énergie on ne la récupère pas, on la puise parfois difficilement au plus profond de soi. Et cela laisse des traces. Ce n’est pas un RTT qui compense l’investissement que l’on a donné quand l’engagement et la pression étaient autant physiques que moraux. Lorsque j’entends que le travail c’est la santé, j’entends quelque part une sorte de leitmotiv censé remotiver des troupes bizarrement un peu crevées et parfois même, désabusées. Justement, ce que beaucoup ne récupéreront jamais c’est bien la santé, et le temps. Parlons-en du temps. En arrivant à la retraite, que reste t’il du temps lorsque la santé n’est plus si bonne ? 



Oui parce qu’il n’est pas resté en forme ces dernières années. A l’aube de la retraite on lui a déclaré une maladie grave. Coïncidence ? Il y a évidemment une question d’âge qui entre inévitablement en ligne de compte ainsi que des facteurs génétiques. Mais ceux-ci ont bons dos et cachent une réalité plus douloureuse quand on sait quelles peuvent être les conséquences du travail sur la santé. Il y a le travail en lui-même et sa pénibilité physique, mais il y a aussi ce que l’on voit moins : la pression psychologique et le manque de sens qui détruit petit à petit son identité et ce qui fait de nous un être d’exception. 

 
En passant 40 ans dans le même groupe, il en a vécu des remaniements, des bouleversements et des changements en tous genres. Mais bizarrement, depuis 2008, les relations entre les collaborateurs et la hiérarchie se sont vraiment dégradées. Cette dernière venait de changer ; le patron, pratiquement tout droit sorti d’une grande école d’ingénieur parisienne a pris les rênes de l’entité. Et là, tout s’est bouleversé. La direction a été complètement remaniée, jusqu’au service des ressources humaines qui a commencé à appliquer une drôle de politique :


Les jeunes aux pouvoirs, les vieux aux placards.

Il n’était devenu qu’un simple numéro, vraisemblablement de trop, à éliminer plus vite que les autres. Il coûtait dorénavant trop cher pour une entreprise qui ne pensait plus qu’aux profits à court terme sans réfléchir aux efforts d’investissements à consentir en contrepartie. Faire plus avec moins en pressant comme des citrons chacun des collaborateurs. Que fait-on de la transmission des connaissances lorsque l’on sait qu’il a participé à la création de son entité et qu’il pourrait en parler des heures durant tellement il a été investi. Je parle au passé car aujourd’hui il est plutôt écœuré de la manière dont il a été traité par une Direction qui pense pouvoir tout révolutionner avec le management par la peur. Il faut au contraire, pouvoir se nourrir de chacun, en tirer de belles choses.

Il a été un exemple pour moi. Droit, investi et consciencieux. J’aurais voulu lui ressembler. Être semblable à lui dans mon travail. Donner de mon temps comme il l’a fait. Ne pas compter mes heures, faire de mon mieux coûte que coûte, ne pas m’écouter. Mais au final, pour quoi faire ?
Aujourd’hui son histoire m’a donné une belle leçon de vie. Justement, ne passons pas à côté de nos vies dans un système qui peut être fatal dans certaines entreprises.


Ne demandez pas à nous, jeunes, de nous surinvestir et de vouer notre existence au travail quand on voit le sort qui a été réservé à certains de nos parents dans cette machine infernale. Des exemples comme le mien, il y en a plein les journaux, pleins autour de moi, dans tous les corps de métiers, à tous les niveaux de l’entreprise. Des groupes dont la force de travail se fait délocaliser, l’apogée du management par la terreur, et j’en passe. Le « marche ou crève » semble être de nouveau à la mode. Ne perdons pas l’essentiel, c'est-à-dire ce qui reste après 60 ans, la famille. Celle-ci ne nous classe pas dans les « ressources devenues inutiles ». Non, à 60 ans les gens ne sont pas encore périmés. Il y a encore de belles choses à faire ensuite. Je lui souhaite d’ailleurs d’en réaliser encore de belles.

L’entreprise a une responsabilité sociale plus forte qu’elle ne le croit. Elle aide à la construction des individus. Malheureusement elle a aussi le pouvoir de participer activement à une déconstruction qui peut être brutale et douloureuse. Il faut souligner qu’elle n’est pas là pour rendre heureux ou malheureux ses collaborateurs, ça c’est de la responsabilité individuelle et privée. Le fameux Chief Happiness Manager est une belle tromperie. Que les entreprises commencent déjà par la base, celle de respecter ses collaborateurs avant de commencer à parler de bonheur au travail (d’ailleurs très artificiel à mon goût).  

Pour tous les surinvestis du travail et ceux au bord de la crise de nerfs, voici une phrase que j’adore, qui vient du Parrain, et qui a été repris dans un de mes films préférés « Ce n’est pas personnel, c’est les affaires » -You have got a mail-





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