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vendredi 11 novembre 2016

J'ai un métier qui en jette sur le papier, mais j'peux pas trop l'expliquer...


Qui n'a jamais rencontré une personne au job un peu obscur?





En soirée, vous demandez à votre voisin de tabouret ce qu'il fait dans la vie, histoire d'engager une conversation.
- OPTION 1, il est transparent "j'écris des directives et des processus RH que personne ne prend le temps de lire et dont tout le monde se fout".
- OPTION 2, il la joue un peu mystérieux "Je suis consultant interne pour une grosse boîte". Ah oui, mais au juste tu fais quoi ? Moment de latence, encore un silence puis des mots tels que "project management" "HR process" "Digital data management" (et j'en passe) fusent par-ci par là.

Je ne sais pas vous, mais j'ai l'impression que le mot "consultant" est simplement un gros panier fourre-tout qui nous sauve la vie lorsque l'on a du mal à définir ce que l'on fait ou que l'on veut (soyons honnête avec soi-même) un peu se la péter quand son poste n'a pas vraiment de sens.

Disclaimer, je ne mets pas tous les consultants dans le même panier. Il y a bien sûr des consultants très utiles, aux missions claires et justifiées. Je pense cependant que l'on a souvent tendance à galvauder certains termes. Par exemple, prenons le poste de chargé de missions. Il sera plus "in" de parler de "Project Manager in Business Development".

Entre les postes dont on a du mal à en tirer la substantifique moelle et ceux pas assez cool pour appeler un chat un chat, il me semble que notre société a du mal à assumer ce qu'elle propose à ses actifs.

Premièrement, quelle honte à être chargé de mission ? Ok, ce n'est seulement qu'une question de sémantique mais cela traduit bien un petit souci quand même.

Deuxièmement, constat un peu plus alarmant. Les Bullshit jobs qui se multiplient comme des petits champignons dans nos organisations...

Qu'est-ce qu'un "Bullshit job" exactement? C'est tout simplement un métier à la con.
Ce terme a été évoqué pour la première fois par l'anthropologue américain David Graeber pour évoquer les métiers inutiles de nos sociétés modernes, remettant en cause la bureaucratie comme fléau du capitalisme. Il a catégorisé deux types d'emplois : les emplois utiles (infirmiers, éboueurs, musiciens, ...) souvent mal payés, et les métiers inutiles (certains consultants, certains postes dans l'administration, des postes d'ingénieurs ou de cadres...) quant à eux parfois très lucratifs. Cette deuxième catégorie se retrouve davantage dans les grandes entreprises pour plusieurs raisons :
- Elles ont les moyens d'entretenir ces postes,
- Elles justifient certaines activités sous couvert de postes aux noms obscures dans des services tels que la R&D, la qualité, le service RH... , 
- Elles utilisent ce type de postes pour mettre au placard ou au contraire, pour réaliser des promotions fictives.

C'est difficile d'assumer que l'on ne sert à rien 8 heures par jour.

Les petites structures ne peuvent pas se permettre ce genre de "luxe". Pour elles, un salarié est avant tout une unité de production en plus. Il ne faut pas voir cela négativement mais simplement être pragmatique. Une entreprise a besoin de gagner de l'argent pour survivre, embaucher et se développer. 1+1=2. Certaines grandes entreprises semblent, quant à elle, vouloir réinventer la poudre ou le fil à couper le beurre.

Tout le monde ne peut se contenter d'un métier à la con. Véritables sources de risques psychosociaux, le détenteur d'un Bullshit job réalise des tâches dénuées de sens. Tout le monde ne peut se contenter du salaire qui va avec pour s'épanouir professionnellement.

Il me semble que nous sommes dans un monde où tout se complexifie malgré nos innovations qui sont censées au contraire nous simplifier la vie.
Nous créons des processus, des directives, des plans d'actions aux contenus aussi illisibles qu'inutiles lorsque l'on sait les déchiffrer.

Ayant réalisé des stages dans des grands groupes, je ne sais pas combien de politiques et de plans d'actions j'ai vu se déployer pour s'évaporer dans la nature quelques mois plus tard. L'effet d'annonce pour zéro résultat.
- "Au fait, où en est le dossier Performance manager lancé par le national, qui nous a demandé l'organisation d'une dizaine de réunions et autant de plans d'actions??"
Réponse du DRH - "ah, je n'en sais rien, je pense qu'il n'est plus d'actualité".
D'accord, alors Polo, l'ancien ingénieur Qualité nommé Chef de projet Management il y a 6 mois avec primes à la clé, écrit des directives depuis des semaines qui finiront à la poubelle. Bienvenu(e) dans nos entreprises françaises !

Plus on fait des choses inutiles et obscures, mieux on est vus dans la société moderne. En d'autres termes, moins on comprends ce que l'on fait, plus on est admirés.  Cherchez la logique.
Seulement, certains ne sont pas dupes.

« Dans la théorie économique du capitalisme (…), la dernière chose que le marché et l’entreprise sont censés faire, c’est de donner de l’argent à des travailleurs qui ne servent à rien.
C’est pourtant bien ce qu’il se passe ! La plupart des gens travaillent efficacement probablement pendant quinze heures par semaine, comme l’avait prédit Keynes, et le reste du temps, ils le passent à critiquer l’organisation, organiser des séminaires de motivation, mettre à jour leurs profils Facebook et télécharger des séries TV. » David Graeber

Cela renvoie, selon moi à différentes problématiques :
- La perte de sens de nos organisations qui s'accompagne d'une perte de vision stratégique de nos organisations (on ne sait plus où l'on va et à quoi on sert mais on écrit comment faire ce que nous ne faisons pas vraiment. Vous comprenez?).
- Le besoin de complexifier le système (besoin dont j'ai du mal à comprendre la finalité).
- Notre fierté mal placée d'occidentaux peu enclins à se recentrer sur l'essentiel car l'essentiel, c'est si has been....

Ce n'est donc pas demain que l'on va assumer des semaines à 20 heures effectives dans un monde où faire 45 heures (dont 25 généralement inutiles) est tellement mieux perçu.

En conclusion, il semble que ce phénomène de Bullshit Jobs soulève une problématique profonde qui me tient particulièrement à coeur, celle du sens au travail qui se perd et plus généralement du sens à sa vie.


Pour aller plus loin, je vous invite à lire trois articles (parmi tant d'autres sur le sujet) :

Bonne lecture !


N'hésitez pas à commenter / partager en commentaire. Vos idées et vos opinions me font avancer.




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