DOSSIERS DU BLOG

lundi 27 février 2017

Lettre à l'écolière que j'étais

Tu as vite compris à quel point le monde est cruel. Et ce monde commence sur les bancs de l'école.

Tu vois les bons points, les punitions, les chouchous, les mauvais élèves, les adaptés et les autres...
Tu vois la maîtresse enseigner des problèmes mathématiques comme on enseigne à un chien comment tenir sur ces deux pattes arrières : pourquoi faire ? 
Toi, tu viens de te poser pour la première fois cette fameuse question : Mais qu'est-ce que je fais là, assise devant ce cahier à spirales ?




Tu passes les trimestres à errer dans ces longues journées, à regarder par la fenêtre de la salle de classe, à entendre vaguement ce que raconte l'instit' au tableau, sans en saisir vraiment le contenu ni encore moins le sens. Tu écris tes leçons en mode automatique, tu ne comprends pas le choix des thématiques que tu n'arrives pas à contextualiser. Oui car pour toi, les choses doivent être concrètes, inscrites dans un ensemble cohérent. Mais pour l'instant tu te demandes ce que font toutes ces leçons mises les unes bout à bout, sans cohérence apparente. Tu passes plus de temps à t'imaginer ce que font ces adultes au travail toute la journée alors que toi tu es là, à attendre que les heures s'égrainent.

Pourtant tout avait bien commencé pour toi. Éveillée et joyeuse, les deux premières années de primaire furent une douce époque dont tu te rappelles avec plaisir. Il y avait cette enseignante exceptionnelle, ces voyages à la mer puis à la montagne. Il y avait de la bienveillance et de l'amour à travers ces dictées et tes cahiers bien tenus qui t'ont donné envie d'écrire et de compter. Elle t'a appris à inscrire correctement des accents circonflexes, graves et aigus sur tes 'E' délicatement déjà dessinés.
Puis il y a eu le reste. Le reste, composé de dix longues et pénibles années. Les mêmes qui t'ont retiré toute envie et tout plaisir d'apprendre dans l'enceinte scolaire.
L'école devient alors un endroit où rien ne te ressemble et personne ne te comprends.
Tu deviens ni bonne ni mauvaise. Tu te noies dans la masse, entre les chouchous et les cancres, toi la petite blonde qui cache ses angoisses grâce à des blagues et à des bavardages.
A l'école tu n'es personne. Tu côtoies aussi une multitude de "personne" qui deviendront des "personnes" à part entière eux aussi un jour, à leur moment.
Sois patiente, ces années seront un jour un mauvais souvenir qui te servira de point d'appui pour demain.

L'école n'est rien d'autre qu'un passage obligé pour certains élèves dont tu fais parti. Tu ressens aussi la lassitude de nombreux enseignants, ce qui te pousse à te demander quelle réelle motivation les font venir chaque matin. Il y a les passionnés, si peu nombreux, puis les autres : les absents, les imbus d'eux-mêmes, les timides, les mal dans leurs baskets, les frustrés et les méchants. Finalement ces professeurs ne sont que le reflet des élèves à côté de toi. Avant d'être professeurs, eux-aussi ont été des élèves. La plupart enseigne des matières que tu trouves aussi hermétiques que des boîtes tupperware fermées.
Il n'y a pas que de la pédagogie qui manque à certains. A beaucoup, tu trouves qu'ils leur manque aussi l'envie et le tact.
Tu te souviendras des contrôles rendus par notes classées, de la meilleure à la plus mauvaise, avec le petit commentaire oral et écrit qui vient avec. Il y aura ces feutres rouges et ces ratures. Tu comprendras que ce système valorise les très bons et ne laisse aucune chance aux autres. Le droit à l'erreur n'existe pas, les encouragements inscrits sur tes bulletins ne sont que factices. Tu vas apprendre ce qu'est un système manichéen : les très bons élèves d'un côté et les médiocres de l'autre, ceux qui iront loin et ceux qui sortiront par des voies de garage. Car oui, à l'école on t'apprend que faire une voie professionnelle c'est réservé aux ratées. Travailler, construire, créer et être utiles de ses mains est une tare dans notre société, qui a si peu évoluée, tu verras. Les garagistes, les boulangers, les maçons et les menuisiers, en somme, sont ceux qui ont raté leurs vies. Quant à ceux qui passent par la fac sont des feignants qui dorment au fond des amphi' et qui finiront chômeurs, surtout ceux qui font socio ou philo. Et puis il y a les autres, ceux qui passeront par des classes prépa, et qui finiront dans des écoles prestigieuses. Eux seront les futurs élites de la Nation. Bon rassure toi, dans les écoles, collèges et lycées que tu fréquenteras, ceux faisant partis de la dernière catégorie seront peu nombreux.

Puis il y a eu ces orientations forcées, celles dont on ne t'a pas trop laissé le choix, parce que oui, tu verras, l'Education Nationale doit remplir ses quotas. Elle les remplira, en partie grâce à toi.
Mais un jour ne t'inquiète pas, tu te réveilleras. Tu comprendras que ton destin n'est pas dans les livres que l'on t'impose mais dans ceux que tu auras choisis de lire.

Ce réveil va être salutaire, il va te faire grandir, il t'apprendra que personne ne doit faire tes choix à ta place. Tu feras des rencontres qui seront de vrais électrochocs au sens négatif du terme. Ne te laisse pas faire. Crois plus que jamais en tes rêves, toi, petite et frêle jeune fille de 15 ans que tu deviendras dans quelques années. Le temps passera plus vite que tu ne le crois. Tu te réveilleras à l'âge où j'écris aujourd'hui sans avoir le temps de dire "ouf". Enfin si, un jour tu feras un vrai "ouf" de soulagement.

Tu choisiras enfin une voie technologique, oui tu la choisiras, et pour la première fois de ta vie, tu t'épanouiras. Tu apprendras à aimer chaque matière, chaque cours, chaque devoir à faire, chaque contrôle à rendre. Tu découvriras des enseignants qui te feront à nouveau voyager. As-tu remarqué que les enseignants que tu aimais le plus étaient les mêmes qui n'avaient pas l'air de compter leurs heures et leurs efforts pour te donner envie d'apprendre? Tu partiras à Paris, à Genève, tu iras visiter l'ONU, des tribunaux, des musées et des expositions. Tu iras au théâtre puis au cinéma. Que de belles parenthèses (pourtant si utiles à ton épanouissement), avant de passer le bac, que tu auras avec d'ailleurs avec mention.

A 18 ans tu t'envoleras vers une autre vi(ll)e. Les choses se corseront, toi qui as choisi une école de commerce et sa prépa' intégrée. Tu y découvriras de nouvelles personnes : les imbus, les fils de riches, les premiers de la classe, les grands gueules, les cassants et les méchants.
Tu auras du mal à faire ton trou, à t'imposer, à t'affirmer. Il y aura de nouveau les contrôles, les chouchous qui voudront absolument montrer qu'ils existent, les derniers au fond de la classe qui se demanderont ce qui font là. Et il y aura encore toi, au milieu, aussi seule dans ta tête que dans tes journées. Tu auras des copines de classe, guère plus. Mais ne t'inquiète pas, un jour tu y arriveras.
Tu passeras la majorité de ces années académiques encore noyée dans une foule qui te pèse tant.
Pour toi, l'école n'est synonyme que de rivalité et classement. Il n'y a vraiment rien d'épanouissant. Toi tu rêves du jour où tu pourras affirmer non seulement ce que tu fais mais surtout affirmer ton individualisme, tes goûts et tes envies.

Tu sortiras tard de ces études à rallonge; mais tu en sortiras rassurée. Rassurée, car tu auras connu un stage d'un an et tes deux dernières années de master, dont une en alternance, qui se passeront à merveille, aussi bien à l'école avec tes futures copines que dans ton poste. Dans ce monde professionnel, tu y découvriras bienveillance et gentillesse. On te donnera enfin la chance d'être un individu à part entière, avec tes idées et ton droit à l'erreur. On va t'encourager, te conseiller, t'épauler et t'aider. Finalement, toi qui avais si peur de l'entreprise, tu t'apercevras que le monde du travail te permettra d'être enfin toi-même. Tu feras de belles rencontres, celles qui marqueront ta vie à jamais. En somme, tes plus beaux souvenirs seront pendant ces interludes professionnelles qui t’épanouiront tellement, te donneront de la valeur et de la confiance. Alors que dans ton parcours scolaire on n'a réussi qu'à te mettre en évidence tes faiblesses, tes défauts et tes manques, tu découvriras ici, enfin ton potentiel, tes aptitudes, tes compétences et tes points forts.

A toi, jeune fille de 8 ans que tu es. Ne t'inquiète pas, si tu ne sais pas vraiment ce que tu fais là, toi la Moyenne de la classe, la transparente, tu verras que dans 15 ans, tu deviendras enfin toi-même.
Tu ne seras pas pas pour autant exactement où tu vas mais tu en sauras davantage sur ce que tu vaux à travers tes propres yeux. On ne te l'apprend pas aujourd'hui, mais sache que la Patience sera ta plus fidèle camarade. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire