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lundi 6 mars 2017

Mon papy au cœur fragile


Il portait sur sa veste en tweed gris l'odeur des grandes bouteilles d'eau de Cologne. Vous savez les Mont saint-Michel de toutes les couleurs que l'on trouve chez Leclerc ? Ses mains quant à elles, sentaient le savon frais. Et ses cheveux gris toujours délicatement taillés, lui donnaient un air juvénile.  




Il a vécu à la campagne mon papy, toujours dans ce même petit village, perdu dans de vertes contrées vosgiennes, dans une ancienne station thermale qui l'a vu naître, puis devenir enfant, un homme, un père, un époux, un grand-père, un arrière grand-père, un frère, un ami. Mon papy il était fier. Il n'avait pas besoin d'argent pour être riche. Il était aussi gentil que bon dans le fond de son âme.
J'ai mille souvenirs de lui, avec lui. Je pourrai vous en raconter tellement. Des tout petits comme des plus importants qui s'imposent à mon esprit régulièrement. J'ai aussi encore sa voix gravée dans ma tête, celle qui me contait si souvent ses histoires de jeunesse, ses souvenirs que je trouvais si éloignés de ma vie. Il a beaucoup vécu, en a beaucoup vu aussi : des joies, des colères et des peines. Il vous en parlerait d'ailleurs tellement mieux que moi s'il le pouvait. Parce que s'il le pouvait, il vous en parlerait toute la nuit, je vous l'assure. 

Des mois, que dis-je, des années après, j'ai toujours la même habitude lorsque j'appelle là-bas. J'attends toujours qu'il décroche le téléphone. Il en aurait mis du temps à arriver au combiné branché sur le guéridon de la salle à manger. Je le savais si bien, alors j'aurai attendu collée à mon portable que les sonneries défilent les unes après les autres. J'aurai aussi dû répéter tant de fois chacune de mes phrases. Notre conversation aurait été un joyeux dialogue de 'sourd' mais qu'importe, il était heureux, je l'étais encore plus d'entendre sa voix enjouée. Notre dernière conversation téléphonique racontait une de ses peines, celle du jour où il a croisé les gendarmes sur la route et que ces derniers lui ont déchiré devant ses yeux son permis de conduire.  Il m'a conté cette histoire avec tellement de peine. C'était la première fois que j'entendais avoir autant de tristesse. C'était une étape à passer dans sa vie, celle de ne plus pouvoir conduire.
Ses douleurs n'avaient d'égales que son silence. Il souffrait en se taisant, c'était ça sa plus grande force. Il a souffert toute sa vie mon papy, son coeur ayant battu trop de fois la chamade dans sa poitrine si fragile. Il a été un combattant silencieux. Un sacré bon soldat, se levant toujours d'humeur égale chaque jour que Dieu lui a permis de vivre. On ne lui en donnait pourtant pour pas cher, les statistiques, même les plus grands médecins se trompent parfois. La science n'a rien d'exacte, il en a été l'exemple même. Il s'est accroché à la vie jusqu'à faillir la perdre à plusieurs reprises. Il a joué l'acrobate sur des fils si fins qu'un mauvais geste, un mouvement brusque auraient pu le faire basculer dans l'obscurité, à jamais, nous laissant orphelins. 



Pourquoi chacun de nos piliers, ces fondements si solides dans nos vies, souvent depuis notre naissance, doivent-ils partir au cours de notre existence ? Moi j'ai toujours inconsciemment pensé qu'il resterait toute ma vie, qu'importe mon âge, assis sur son fauteuil à guetter par la petite fenêtre de la cuisine mon arrivée. 

Chaque soir, assis à la table de la salle à manger, il écrivait au stylo quatre couleurs sur ses carnets, ses pensées, la composition de ses journées, la météo qu'il faisait, ses humeurs, les événements marquant, surlignant les moindres détails de ses pages de Stabilo colorés. J'ai relu quelques de ses cahiers et je le remercie de les avoir écrit tant leur valeur est grande. Ils témoignent de son passage sur terre, si petit aux yeux de l'univers.

A l'école on nous apprend les maths et la géographie, mais on ne nous apprend pas à faire avec une absence, surtout celle qui laisse un vide immense, celle qui alourdit le cœur de son poids. Le vide lourd, en voici une belle et triste analogie. Comment faire plus, grandir, s'épanouir, avec moins ? Il en faut de l'imagination pour être heureux parfois.

Vous savez, il n'avait rien d'exceptionnel au sens stricte du terme. Il n'était ni un artiste, ni un grand homme d'affaire, ni médecin, ni même politicien. Il était mieux. Henri était lui dans toute sa beauté, sa joie de vivre et sa simplicité, un homme courageux et marqué par la vie. Il parlait de l'occupation des allemands comme s'il venait juste de les voir passer sur le trottoir d'en face. J'ai appris à ses côtés comment un cœur peut être marqué indélébilement sans que cela ne l’entache complètement.  




Il a su profiter de tout : des bonheurs en famille en passant par les virées en forêt, des rencontres faites au gré de ses nombreuses promenades desquelles il revenait toujours en retard à la maison. Ah oui, mon papy il était toujours en retard, surtout pour manger à midi. Il avait un peu de mal avec son auto, une 205 blanche, si souvent utilisée et parfois même un peu abîmée sur la fin. Aujourd'hui, on en rit de bon cœur en repensant à cet homme, la coupe en brosse, la veste ajustée sur ses épaules d'ancien ouvrier et sa petite sacoche, montant dans sa voiture pour aller vadrouiller. Il aimait aussi les voyages, il aurait aimé en faire davantage. Il aimait délicatement sa femme, il aimait ses enfants, aussi tendrement qu'un père puisse le faire. 

Ma grand-mère et lui aimaient raconter une de leurs nombreuses anecdotes vécues en voyage dans le sud de la France. Assis tous deux à bord d'un petit train de tourisme, ma grand-mère arborant fièrement autour de son cou son appareil photos à pellicule, s'émerveillaient ensemble des vaches qui broutaient dans le paysage qui s'offrait à eux. Elle ne résista pas à l'envie d'immortaliser ce souvenir sous les yeux étonnés de leur voisin de wagon "Ils n'ont jamais vu des vaches de leur vie ceux là ou quoi?". S'ils savaient, eux qui en avait eu plein leur ferme !

Je souhaiterais ne jamais m'arrêter d'écrire ces souvenirs sur mon clavier, ni même de vous décrire mon papy. Je voudrais tout partager, ne rien laisser s'envoler, piéger chacune de mes pensées dans ces phrases que ma mélancolie me pousse à écrire. 

Lui qui dormait si peu et qui pourtant, s'est vu voler son dernier souffle une froide matinée de janvier. Ce matin-là, nous étions si étonnés qu'une personne de plus de 90 ans puisse partir. Car vous savez, voir partir Henri, c'est voir un bout de chacun de nous partir dans un endroit dont lui seul a désormais la clé






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